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Réglementation commerciale en 2021 : une année d’évolution et la « nouvelle normalité »

Auteur(s) : Alan Kenigsberg, Malcolm Aboud, Chelsea Rubin, Sarah Firestone

Le 13 décembre 2021

À bien des égards, le maintien du statu quo a été la caractéristique déterminante du contexte commercial de 2021. Des élections fédérales canadiennes ont eu lieu, mais très peu de changements se sont produits, le Parti libéral demeurant un gouvernement minoritaire. De plus, malgré les répercussions profondes de la COVID-19 sur les particuliers, les chaînes d’approvisionnement et les entreprises du monde entier, le gouvernement canadien n’a indiqué aucune intention de dévier de ses objectifs de politique commerciale existants en raison de la pandémie. Les signaux clairs concernant la politique commerciale dans la « nouvelle normalité » postpandémique indiquent que le gouvernement a l’intention de continuer à mettre en œuvre et à étendre les accords commerciaux existants, à négocier de nouveaux accords et à étendre les sanctions et les règles relatives aux droits de la personne.

La pandémie de COVID-19 entrant dans sa deuxième année, les entreprises et les gouvernements deviennent de plus en plus habiles pour faire face à ses défis. Les entreprises doivent s’attendre à devoir continuer à s’adapter à ces changements en 2022, même si nous commençons à sortir de la pandémie.

L’ACEUM – un an plus tard

Maintenant que l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (l’« ACEUM ») est en vigueur depuis plus d’un an, le « cours normal des affaires » aux termes de l’accord a commencé à se dessiner. Dans notre rétrospective de l’année juridique 2020, nous avons noté que la stabilité du commerce entre le Canada et les États-Unis résultant de l’ACEUM et attendue par beaucoup a été de courte durée. L’administration Biden a dans une certaine mesure maintenu la rhétorique protectionniste qui était la marque du régime précédent, eu égard notamment à ce qui suit :

  • l’engagement du président à « acheter américain », qui a été officialisé par un décret présidentiel (en anglais) daté du 25 janvier 2021;
  • la proposition de loi du groupe d’experts de la Chambre des représentants des États-Unis visant à augmenter les crédits pour les véhicules électriques jusqu’à 12 500 $ US par véhicule, y compris des crédits supplémentaires de 4 500 $ US pour les véhicules fabriqués par des entreprises syndiquées et produits aux États-Unis et de 500 $ US pour les batteries fabriquées aux États-Unis. À partir de 2027, les véhicules devront être assemblés aux États-Unis pour être admissibles à ces crédits d’impôt;
  • la promesse du président qu’il maintiendra les protections tarifaires pour les secteurs de l’acier et de l’aluminium imposées par l’administration Trump.

Face à ces initiatives, les gouvernements canadien et américain ont discuté d’exemptions à certaines des mesures qui permettraient aux entreprises canadiennes de conserver l’accès aux contrats du gouvernement américain.

Comme c’est le cas pour tout nouvel accord commercial, il reste à acquérir une connaissance détaillée de la manière dont il sera mis en œuvre. Par exemple, le Canada s’est joint au Mexique pour engager une consultation officielle avec les États-Unis en ce qui concerne l’interprétation des règles de contenu à l’égard des automobiles énoncées dans l’accord. Les répercussions pratiques de la mise en œuvre de l’ACEUM devraient être clarifiées au cours de l’année 2022. Dans l’intervalle, les déclarations des responsables américains continuent de signaler une approche protectionniste à court terme.

Différends commerciaux

La différence la plus importante entre l’ACEUM et l’Accord de libre-échange nord-américain (l’« ALENA », l’accord qui a précédé l’ACEUM) est la suppression des dispositions relatives aux différends prévues au chapitre 11 de l’ALENA. Par conséquent, les particuliers et les entreprises n’auront bientôt plus la qualité pour intenter une action en justice en vertu du traité[1]. Les investisseurs privés peuvent soulever des différends hérités de l’ALENA pendant une période de trois ans, qui a commencé à courir lorsque l’ACEUM est entré en vigueur le 1er juillet 2020.

Les différends hérités de l’ALENA (y compris les différends relevant du chapitre 11 et d’autres différends entre États) sont toujours en cours. Notamment, conformément à la rhétorique protectionniste mentionnée ci-dessus, l’année 2021 a vu un nouveau chapitre dans le conflit du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis, vieux de plusieurs décennies. Comme l’a mentionné la ministre Ng dans sa déclaration, le département du Commerce des États-Unis a conclu, en mai 2021, le deuxième examen administratif de ses ordonnances sur les droits antidumping et compensateurs sur certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada. À la suite de cet examen, les États-Unis ont doublé les tarifs douaniers sur les importations de bois d’œuvre résineux canadien.

Seuls les différends d’État à État sont autorisés en vertu de l’ACEUM. En mai 2021, les États-Unis ont introduit le premier différend de ce type lorsqu’ils ont demandé la création d’un groupe spécial de règlement des différends pour examiner les mesures annoncées par le gouvernement canadien en juin et octobre 2020 et en mai 2021, qui auraient miné la capacité des exportateurs américains de produits laitiers à vendre une gamme de produits aux consommateurs canadiens. Les États-Unis contestent spécifiquement la répartition des contingents tarifaires de produits laitiers et, plus particulièrement, la mise en réserve d’un pourcentage de chaque contingent tarifaire de produits laitiers exclusivement pour les transformateurs canadiens. En tant que premier différend introduit dans le cadre du nouvel accord, cette affaire donne un aperçu important de ce que les investisseurs peuvent attendre du processus de règlement des différends dans le cadre de l’ACEUM à l’avenir.

Les tribunaux canadiens restent fidèles à leur approche déférente à l’égard de l’examen des décisions des tribunaux commerciaux constitués en vertu des accords de libre-échange. Comme nous l’avons écrit plus tôt cette année dans l’article intitulé La décision United Mexican States v. Burr réaffirme la réticence des tribunaux canadiens à annuler les décisions des tribunaux internationaux publié sur osler.com, la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario du 20 juillet 2020 dans l’affaire United Mexican States v. Burr a affirmé que les tribunaux canadiens seront peu enclins à renverser les décisions de tels tribunaux commerciaux. Dans cette affaire, un certain nombre d’investisseurs américains a intenté une action contre le gouvernement mexicain en réponse à sa décision de fermer leurs casinos au Mexique. Le tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements a rejeté les contestations à l’égard de la compétence du gouvernement mexicain et a rendu une sentence partielle en faveur des investisseurs. Qu’il soit instigué aux termes de l’ancien ALENA ou d’un autre accord commercial, le contrôle national des décisions des tribunaux internationaux demeure soumis à une norme de contrôle qui commande un degré de retenue très élevé. Les investisseurs canadiens doivent tenir compte de ces obstacles lorsqu’ils déterminent la question de savoir s’il est opportun de faire appel de ces décisions et comment le faire.

Sanctions et droits de la personne : un cadre en évolution

L’année 2021 a vu de nombreuses évolutions dans les domaines du droit des sanctions et des droits de la personne au Canada. Les développements dans ces deux domaines semblent s’inscrire dans une tendance plus large visant à soutenir un comportement responsable à l’échelle internationale de la part des entreprises. Les particuliers et les entités qui font des affaires au Canada et les entités canadiennes qui font des affaires à l’étranger doivent être conscients du cadre de sanctions en constante évolution, plus particulièrement de l’importance accrue que le gouvernement accorde aux droits de la personne et aux pratiques commerciales éthiques.

Le gouvernement canadien a à la fois imposé de nouvelles sanctions et élargi les cadres existants. Plus précisément, en 2021, le Canada a pris la décision importante d’imposer de nouvelles sanctions à la Chine pour les violations des droits de la personne commises dans la région du Xinjiang. Les sanctions, mises en œuvre en vertu du nouveau règlement visant la République populaire de Chine, pris en application de la Loi sur les mesures économiques spéciales, interdisent les opérations sur les biens possédés, détenus ou contrôlés par les quatre particuliers et l’entité désignés. Toute personne a l’obligation de signaler aux forces de l’ordre canadiennes si elle a des raisons de croire qu’elle a de tels biens en sa possession ou sous son contrôle. Alors que les États-Unis ont abandonné les poursuites contre la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, et que les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor ont été libérés de leur détention en Chine, il reste à voir ce que 2022 réserve aux relations sino-canadiennes. Le gouvernement canadien n’a pas encore décidé si Huawei sera autorisée à vendre des équipements 5G au Canada. Les alliés du Canada (les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni) ont tous interdit ces ventes.

Le gouvernement canadien a également élargi la portée des sanctions existantes contre la Crimée, la Russie, la Biélorussie et le Myanmar, en désignant des particuliers et des entités supplémentaires dans le cadre des règlements existants. Pour plus d’informations sur certaines de ces sanctions, veuillez consulter les articles Le Canada annonce de nouvelles sanctions à l’encontre du Bélarus et Le Canada se joint aux États-Unis, à l’Union européenne et au Royaume-Uni pour imposer des sanctions contre des fonctionnaires chinois pour condamner le traitement vers la minorité musulmane ouïgoure publiés sur osler.com.

Le gouvernement a de plus clairement indiqué qu’il s’attendait à ce que les entreprises canadiennes exercent leurs activités à l’étranger dans le respect de l’éthique. Comme nous l’avons écrit dans l’article intitulé New Canadian foreign investment promotion and protection model expands responsible business conduct provisions (en anglais) sur osler.com, le gouvernement canadien a publié un nouveau modèle d’Accord concernant la promotion et la protection des investissements (l’« APIE ») destiné à servir de base à de futures négociations d’investissement avec des parties étrangères. Le modèle de l’APIE développe les dispositions encourageant les parties à se conformer aux normes nationales et internationales en matière de droits de la personne et de conduite responsable des affaires. Le gouvernement canadien a également proposé une loi moderne contre l’esclavage (le projet de loi S-216) qui imposerait des exigences de déclaration à diverses entités participant à la fabrication de biens au Canada ou ailleurs, ou à l’importation de biens au Canada. Ces exigences de déclaration concernent les mesures que l’entité a prises pour prévenir et réduire le risque que le travail des enfants ou le travail forcé ait été utilisé à n’importe quelle étape de la production de biens au Canada ou ailleurs, ou de biens importés au Canada.

Ces développements s’inscrivent dans une tendance claire visant à encourager les entreprises exerçant des activités au Canada et les entreprises canadiennes exerçant des activités à l’étranger à se conformer aux règles et normes internationales et nationales en matière de droits de la personne.

Un autre mandat de Trudeau : une nouvelle ère d’accords commerciaux?

Avec l’entrée en vigueur et la mise en œuvre de l’ACEUM, de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (le « PTPGP ») et de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (l’« AECG »), les cadres des relations commerciales du Canada avec ses principaux partenaires sont de mieux en mieux ancrés. Le mouvement mondial vers des relations commerciales de plus en plus formalisées avec des blocs commerciaux plus importants par le biais d’accords dont la portée est plus large que celle des accords de l’OMC se poursuit. Parmi les autres développements dans ce sens, le Royaume-Uni et la Chine ont demandé à rejoindre le PTPGP. En outre, le gouvernement canadien a fait de la négociation d’accords commerciaux bilatéraux avec les nations d’Asie-Pacifique et d’Amérique du Sud (en particulier le groupe Mercosur) un objectif clé de son programme commercial international. Le gouvernement a également annoncé son intention de créer un « carrefour d’affaires » fédéral afin que les entreprises puissent bénéficier des accords commerciaux internationaux. Le gouvernement libéral actuel ayant été réélu avec un gouvernement encore une fois minoritaire en septembre, ces politiques sont susceptibles de se poursuivre à court terme.

Les entreprises doivent s’attendre à continuer à exercer leurs activités dans le cadre de ces accords formels et à surveiller leur mise en œuvre et leur interprétation, ce qui devrait clarifier les « règles du jeu ». Les particuliers ou les entités ayant des intérêts particuliers devraient envisager de communiquer leurs préoccupations au gouvernement et comment le faire de la meilleure façon afin de s’assurer que leurs intérêts soient pris en compte lors de la négociation et de la mise en œuvre de nouveaux accords.

Conclusion

Au fur et à mesure que les entreprises et les gouvernements s’adaptent et apprennent à fonctionner au sortir de la pandémie, le droit commercial va nécessairement évoluer. Les entreprises ont été confrontées à toutes sortes de défis au cours de l’année écoulée, d’autant que les chaînes d’approvisionnement demeurent perturbées. Les objectifs politiques du gouvernement – plus particulièrement la promotion du libre-échange, des droits de la personne et de l’application des sanctions, en 2021 – ne feront qu’accroître le fardeau de la mise en conformité pour les entreprises exerçant leurs activités à l’échelle internationale à l’approche de 2022. Il sera donc important d’obtenir des conseils d’experts sur la meilleure façon de relever les défis posés par ce contexte en évolution.


[1] Les simples citoyens continuent à avoir des droits aux termes des traités étrangers en matière d’investissement et des contrats privés (p. ex., des clauses d’arbitrage).